Histoire Générale de la ligne de Montélimar à Dieulefit

Genèse du projet et construction de la ligne

Cette ligne a connu une longue période de gestation (27ans, de 1866 à 1893) qui doit être retracée.

Rappelons le contexte : cette deuxième moitié du XIXème siècle est marquée par la révolution industrielle, et le chemin de fer en est le premier bénéficiaire en même temps qu’il l’accélère.

Ce sera tout d’abord la construction d’un réseau de voies ferrées nationales, dessinées « en étoile » depuis Paris, qui seront exploitées par plusieurs compagnies ; en particulier, la voie impériale Paris- Lyon- Méditerranée, construite entre 1843 et 1855, sera exploitée par la compagnie PLM en 1857 (nom de la compagnie avant la fusion en 1938 de toutes les compagnies de chemin de fer pour constituer la ‘’SNCF’’).

Pendant les quelques 50 années qui vont suivre (1860-1910) tous les départements voudront développer des lignes secondaires qui viendront s’accrocher au réseau principal ; à tel point que la desserte ferroviaire atteindra un nombre incroyable de gares, parfois très reculées, désenclavant les campagnes, assurant un trafic de voyageurs et de marchandises en croissance constante. Le réseau ferré, toutes compagnies confondues, comptait ainsi 70 000 km peu avant la 1ère guerre mondiale (contre 24 000 aujourd’hui !).

La Drôme n’a pas échappé à cette tendance : plusieurs projets sont évoqués dès 1860 par son conseil départemental, et une loi de 1865 favorisant le développement de voies locales accélérera cette réflexion : ce sont des lignes à orientation générale Est-Ouest, pour rejoindre la ligne PLM (qui traverse le département du Nord au Sud et longe sur une centaine de kilomètres la rive gauche du Rhône, entre Saint-Vallier et Pierrelatte). Suite à un décret de 1891, c’est à la Compagnie des chemins de fer de la Drôme (CFD) que sera attribuée une concession de 75 ans pour la construction et l’exploitation de ce réseau départemental.

Ce réseau de chemin de fer et tramways drômois s’est développé au tournant du siècle avec un développement en plusieurs étapes:

8 lignes au total seront ouvertes, toutes à voie métrique, totalisant environ 200 kilomètres. Ces lignes seront désaffectées peu avant la 2ème guerre mondiale (sauf celle de Valence à St Péray qui le sera en 1949).

Un premier réseau de 4 lignes s’est ainsi constitué en 1893-1894 :

  • Montélimar/ Dieulefit. Longueur 28 km ; en service le 16 juillet 1893 et désaffectée en 1936.
  • Saint-Vallier / Le Grand Serre. Longueur 27 km ; en service du 29 octobre 1893 au 10 juillet 1931.
  • Valence /Chabeuil. Longueur 13 km ; en service du 1er mars 1894 au 1er janvier 1935.
  • Tain l’Hermitage/Romans. Longueur 18 km complétée 2 ans plus tard par un embranchement de Clérieux/Saint-Donat (9 km) ; en service du 16 juin 1894 au 1er octobre 1934.

Développement du réseau des CFD en 3 étapes successives entre 1893 et 1905, document E.Mandrillon

D’autres lignes, constituant les 2ème et 3ème réseaux, furent ensuite construites entre 1897 et 1905, constituant un véritable maillage du territoire par leurs interconnexions et par les correspondances avec le réseau drômois du PLM qui s’était développé entre 1860 et 1890 :

  • Chabeuil/ Bourg de Péage. en 1897 Longueur 20 km (prolongée vers Romans en 1908 (2km) assurant la jonction avec le réseau Nord du département)
  • Bourg de Péage/Pont en Royans. Longueur 40 km ; en service de 1901 au 10 juillet 1931.
  • Chatillon en Diois/Pont de Quart. Longueur 8,5 km ; en service du 17 juin 1903 au 1er mai 1931.
  • Valence/Crest. Longueur 40 km ; en service du 5 novembre 1906 au 1er octobre 1934.
  • Valence/Saint-Peray. Longueur 4 km ; en service du 7 mai 1910 au 31 décembre 1949.
  • Taulignan/Chamaret. Longueur 11 km ; en service du 26 novembre 1906 à 1932 (nous mentionnons cette ligne privée, n’appartenant pas à la compagnie des chemins de fer de la Drôme, qui sera reprise en régie en 1925 par le département).

La ligne Montélimar à Dieulefit sera donc la première à être réalisée par cette compagnie, en 1893

Mais elle était en projet depuis déjà plusieurs années, sous l’impulsion d’un personnage politique influent, Etienne Théodore Morin, député sous la 2ème République puis le second empire, maire de Dieulefit en 1848, conseiller général de la Drôme (et propriétaire d’une importante entreprise de draperie).

Pour E. Morin, une telle ligne était justifiée par un trafic potentiellement important de marchandises, avec trafic « montant » vers Dieulefit d’engrais et de houille et trafic « descendant », au retour vers Montélimar, de bétail et produits agricoles, de pierres de taille, de poteries et de textiles (Dieulefit ayant alors une importante production de draps). Une première étude fut confiée par le conseil général à un ingénieur parisien, E. Empain, qui proposa un projet en 1866, en voie métrique ; mais il suscita de nombreuses oppositions et polémiques, avant que la guerre franco-allemande de 1870 ne l’enterre pour une dizaine d’années.

Étienne Morin 1814-1890

En 1881, une décision du Conseil Général, s’appuyant sur une loi de 1881 facilitant le financement de tels projets, remit à l’ordre du jour le principe de sa construction, toujours en voie métrique.
Dès lors, et pour encore une dizaine d’années, plusieurs projets et variantes furent proposés, sans jamais se concrétiser, en raison d’obstacles nombreux : financiers avant tout, mais aussi techniques. Fallait-il un réseau à voie normale ou métrique ? Fallait-il construire la voie sur l’accotement de la route ou sur celle-ci ? Quel tracé emprunter et quels arrêts desservir ? En particulier, où situer à Montélimar la gare de départ de cette ligne, et quel tracé adopter dans la ville pour sa connexion à la gare existante du PLM, une des raisons d’être de cette nouvelle ligne locale ?

Sans détailler toutes les étapes et péripéties administratives, sur fond d’intérêts souvent divergents, retenons deux dates essentielles, lors des années décisives de la construction 1891-1893 :

  • décret ministériel du 17 août 1891 autorisant la construction de cette ligne,
  • arrêté préfectoral du 4 juin 1892 définissant exactement le tracé et l’emplacement des arrêts, avec mise en œuvre d’expropriations, parfois difficiles comme à La Begude !

Le budget prévisionnel de construction est de 2 748 080 Francs.

Désignation des dépensesRubriquesQuantitéPar chapitre en Francs
TerrassementsDéblais pour fouille, charge et transport65 000
m3
530 000
Ouvrages d’ArtAqueducs, Ponceaux, Ponts….329 400
Voies et accessoiresGarages, Stations, Plaques tournantes, Poteaux, Pose de la voie, Rails…885 420
Gares et StationsBâtiments de voyageurs, haltes, dépôts de machines, quais, mobiliers, ponts roulants170 680
Acquisition de terrainsVoie principale et emplacement des stations256 000
Matériel roulant, Alimentation, OutillageLocomotives, wagons de marchandises, voitures de voyageurs, alimentation d’eau, outillage des dépôts et ateliers290 580
Études, frais généraux, surveillance des travaux286 000
TOTAL2.748.080francs

Les travaux vont alors pouvoir se dérouler et seront conduits en un temps record, un an à peine : il s’agit d’une voie unique, métrique, avec de nombreux segments à très faible rayon de courbure, et construite– pour des raisons d’économie – sur un accotement de la route départementale ou plus souvent sur celle-ci, en particulier dans la traversée des agglomérations avec des rails enterrés sur la voie publique (d’où le nom de tramway et la Compagnie des CFD était également appelée « Tramways de la Drôme »).

Une locomotive WEIDKNECHT 021T, portant le n° 6, fût utilisée pour la construction de la ligne (elle arriva à Montélimar en avril 1892) ; la base de stockage des matériels et matériaux était la gare de Montélimar- Espoulette.

Le tracé de la ligne est de 28 km, de la gare de Montélimar- Espoulette à celle de Dieulefit, son terminus, desservant au passage 13 stations ou haltes-abris. La ligne suit le Jabron avec une déclivité importante de 300 m qui sépare ses deux extrémités, particulièrement marquée entre La Bégude et Dieulefit. Le plus bel ouvrage d’art de la ligne est le viaduc métallique enjambant le Roubion, le « pont de fer » construit par la maison Eiffel, un peu en amont du « pont de pierre » pour le trafic routier.

L’inauguration de la ligne aura lieu le 16 juillet 1893, les travaux à peine achevés (cette date fût plusieurs fois reportée en raison de retards de construction), en présence d’Emile Loubet (sénateur de la Drôme et futur Président de la 3ème République). Ce dernier utilisera d’ailleurs régulièrement le train pour rejoindre sa propriété de la Bégude, juste en face de la gare ! Manifestation grandiose, avec 2 trains inauguraux destinés aux personnalités locales et nationales qui feront l’aller-retour de Montélimar à Dieulefit, avec un grand banquet offert par la compagnie à plus de 200 invités, organisé sur l’esplanade de la gare terminus de Dieulefit.

Exploitation, déclin et fermeture

L’exploitation est un succès au début, mais il sera de courte durée…

Mais, dès le début des années 1900, le trafic commence à baisser :

  • non seulement celui des voyageurs, peu satisfaits de la grande lenteur du trajet, qu’expliquent le grand nombre d’arrêts et les incidents techniques fréquents. Un cercle vicieux s’est rapidement installé après l’engouement initial pour ce train :  les difficultés financières quasi constantes de la compagnie avec, dès le début, des recettes en dessous des prévisions auront pour conséquence une maintenance aléatoire des matériels – source de pannes et d’irrégularités des horaires- ainsi que le choix de matériels souvent inconfortables –voitures sans bogies pour alléger les convois, trop lourds pour la puissance de traction des locomotives, chauffage aléatoire. Les voyageurs vont ainsi progressivement se reporter sur la concurrence routière, en particulier après la première guerre ; les autocars, plus rapides et réguliers, vont rapidement supplanter le chemin de fer et amorcer son déclin.
  • Mais  également celui des marchandises, pour des raisons économiques. La Grande Guerre de 14-18 va, là encore, accentuer ce déclin ; la Compagnie des chemins de fer de la Drôme  fait faillite en 1920, la ligne Montélimar- Dieulefit étant la dernière à disparaître ;  le réseau est alors mis sous séquestre avant d’être rattaché au département en 1922.

Arrêt du trafic et démantèlement de la ligne

Le conseil général décide en 1932 l’arrêt de tout trafic, qui est reporté sur la route, avant que ne soit définitivement fermée la ligne par décret du 31 décembre 1932. La voie fût déposée et le matériel vendu à l’Italie (qui construisait alors un réseau en Ethiopie, sa colonie).
Il ne subsiste plus aujourd’hui de ce train que des photos et des cartes postales (malheureusement il n’y pas d’archives filmées) et aussi quelques vestiges de la ligne : anciennes haltes ou abris le long de l’actuelle route départementale D 540, et surtout la gare de Dieulefit, très bien conservée, siège de l’association depuis 2011 ; elle est sans doute le témoin le plus emblématique du réseau et d’ailleurs appelée gare du picodon par les Dieulefitois !

Les témoins restants de la ligne, tels que retrouvés le long de la route D 540

Sources documentaires :

-Ph. Planeix. Le Chemin de fer de Montélimar à Dieulefit. Revue « Connaissance du rail » N°93 1988 p 13-20 et N°94 1988 p 13-18
-H. Domengie et G. Antressangle. Les tramways à vapeur et électriques de la Drôme . Association « pays de la Drôme », 1988
-J. Y. Bersio   http://www.le-tramway-de-la-drome.com/
-S. Olivier. La longue histoire d’un petit train –  le picodon- 1865-1914. Mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine, Université Lyon 3, 1994
-E. Mandrillon. Les chemins de fer de la Drôme. Revue « Chemins de fer régionaux et tramways »  N°359 septembre- octobre 2013
-Wikipédia, Chemins de fer de la Drôme, https://fr.wikipedia.org/wiki/Chemins_de_fer_d%C3%A9partementaux_de_la_Dr%C3%B4me